Le 13 septembre 2023, la Cour de cassation a établi que les salariés continuent à acquérir des congés en cas de maladie. Suite à ces arrêts, une loi était très attendue par les entreprises. C’est dans le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne (DDADUE) que le gouvernement a inséré un amendement permettant l’acquisition de congés payés en cas d’absence. Revenons sur cet amendement très controversé mettant un terme à des années de non-conformité du droit français au droit européen.

Contexte

Le 13 septembre 2023, la Cour de cassation s’est alignée sur le droit européen en ce qui concerne l’acquisition de congés payés en cas d’absence. Si le droit français pose le principe selon lequel le salarié n’acquiert pas de congés en cas de maladie non professionnelle et que cette acquisition est limitée à un an en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle (ATMP), le droit européen estime lui qu’en cas d’absence les salariés doivent continuer à acquérir des congés sans limitation de durée. La jurisprudence française, qui avait jusqu’alors toujours appliqué le droit français, opère un revirement dans deux arrêts du 13 septembre en établissant que l’acquisition des droits à congés payés vaut pour toute la durée de l’arrêt de travail (pour en savoir plus sur cette jurisprudence se référer à notre actu du 22 septembre 2023 ici).

Depuis plusieurs mois, un flou juridique subsistait donc pour les entreprises qui ne savaient pas si elles devaient appliquer le droit français ou le droit européen comme l’a fait la Cour de cassation. Une intervention du gouvernement sur ce sujet était très attendue.

En mars 2024, au sein du projet de loi DDADUE, le gouvernement a inséré un amendement pour mettre en conformité le droit français sur l’acquisition des congés avec le droit européen. Cet amendement a été adopté par l’Assemblée nationale le 18 mars 2024. Le 4 avril, la Commission Mixte Paritaire (CMP) a trouvé un accord modifiant légèrement l’amendement initial. Le texte doit encore être définitivement adopté par l’Assemblée nationale et le Sénat. La loi pourra alors être promulguée sous réserve d’une éventuelle saisine du Conseil constitutionnel.

Quelles sont les règles prévues par cet amendement ? Détaillons les principaux points envisagés par le gouvernement.

L’amendement du gouvernement sur l’acquisition des congés en cas d’absence

Le gouvernement prévoit de modifier le Code du travail afin que celui-ci soit conforme au droit européen. Après les arrêts du 13 septembre, la principale crainte des entreprises reposait sur l’effet rétroactif de ces mesures. En effet, une mise en œuvre stricte du droit européen qui s’appliquerait pour les situations antérieures à la promulgation de la loi représenterait un coût financier très important pour certaines entreprises.

Le gouvernement a donc pris le parti de régir la situation pour l’avenir mais également pour les situations passées.

Les mesures envisagées à compter de l’entrée en vigueur de la loi

L’acquisition des congés payés

Dispositif existant

L’article L3141-3 du Code du travail prévoit que le salarié a droit à un congé de 2,5 jours ouvrables par mois de travail effectif. Les périodes de suspension du contrat de travail en cas de maladie non professionnelle n’étant pas considérées comme du travail effectif dans le droit français, les périodes d’arrêts ne sont pas prises en compte pour l’acquisition des congés.

L’article L3141-5 du Code du travail prévoit que sont considérées comme du travail effectif les périodes de suspension du contrat de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle dans la limite d’un an. Á partir d’un an, le salarié en arrêt pour accident ou maladie lié au travail n’acquiert plus de congé.

Dispositif envisagé par l’amendement

L’amendement prévoit de modifier le Code du travail en assimilant l’arrêt maladie à du temps de travail effectif. Un mois d’arrêt maladie ne donnerait pas droit à 2,5 jours mais à 2 jours ouvrables de congés payés. Si le salarié est absent tout au long de la période de référence il aura droit à 24 jours ouvrables de congés payés. Ces 4 semaines correspondent aux 4 semaines minimales garanties par le droit européen.

Concernant les arrêts pour ATMP, l’amendement prévoit de supprimer la limite d’un an à l’acquisition de congés payés. Dans ce cas, le salarié aura toujours le droit à 2,5 jours ouvrables par mois mais pendant toute la durée de son arrêt.

Le calcul de l’indemnité de congés payés

Les salariés en arrêt maladie non professionnelle acquièrent 2 jours ouvrables par mois. Corrélativement, seuls 80 % de leur rémunération entreront dans la base de calcul de l’indemnité de congés payés pour ces périodes d’absence.

En outre, la CMP a ajouté que le congé de paternité et d’accueil de l’enfant est assimilé à du temps de travail effectif pour le calcul de l’indemnité compensatrice de congés payés pour les fins de mission des intérimaires.

Les congés payés acquis non pris en raison d’un arrêt de travail

L’amendement institue une nouvelle règle en ce qui concerne le report des congés payés acquis avant ou pendant un arrêt maladie.

En cas de congés non pris du fait de l’expiration de la période de prise des congés pendant un arrêt maladie alors le gouvernement prévoit une période de report de 15 mois des congés non pris. Ce délai de 15 mois commence à courir à la date à laquelle l’employeur informe le salarié qu’il peut prendre ses congés à sa reprise du travail. L’employeur a un délai d’un mois à compter de la reprise du travail du salarié pour satisfaire cette obligation. Il doit informer son salarié de deux choses :

  • Le nombre de jours de congés dont dispose le salarié
  • La date jusqu’à laquelle les congés peuvent être pris

La CMP a suggéré que ces informations puissent être transmises via le bulletin de paie du salarié.

À noter que pour les salariés en arrêt de travail depuis au moins 1 an à la fin de la période d’acquisition des congés payés, les congés acquis seront reportés sur une période de 15 mois mais cette période commencera à courir à la fin de la période d’acquisition des droits. Un salarié toujours en arrêt pourrait donc voir débuter sa période de 15 mois.

Sur le traitement des situations passées

L’amendement prévoit une application rétroactive de la règle selon laquelle le salarié acquiert des congés durant son arrêt maladie à hauteur de 2 jours ouvrables par mois et de la règle du report de 15 mois de la prise de congé. Cependant, sur la suppression de la limite d’un an en cas d’ATMP il n’est prévu aucune rétroactivité. Cette mesure ne vaut que pour l’avenir.

Les règles envisagées par le gouvernement varient en fonction de la situation du salarié, qu’il soit toujours en poste dans l’entreprise ou non.

Le salarié n’est plus lié par un contrat de travail à son employeur

Dans ce cas, l’amendement vient simplement rappeler une règle de droit commun : la prescription des salaires de 3 ans. Les salariés dont le contrat de travail aura été rompu depuis plus de 3 ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi ne pourront pas agir en justice.

En revanche, ceux dont le contrat aurait été rompu depuis moins de 3 ans auront la possibilité d’agir en justice pour réclamer le paiement d’indemnités de congés payés.

Le salarié est toujours lié par un contrat de travail à son employeur

L’amendement prévoit une application rétroactive à compter du 1er décembre 2009 pour les salariés qui sont toujours dans l’entreprise.

Cependant, pour limiter le droit à agir et sécuriser les entreprises, l’amendement prévoit un délai de forclusion de deux ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi. Cela signifie qu’à partir de la date d’entrée en vigueur de la loi, les salariés auront 2 ans pour agir en justice et faire valoir leurs droits.

En résumé, cette loi aura un impact fort sur les entreprises tant sur la rétroactivité que sur la gestion des congés pour l’avenir. La mise en place d’une telle loi suscite encore beaucoup de questions : le traitement des accidents de trajet, l’articulation de ces mesures avec les accords collectifs ou encore le prorata à effectuer en cas d’absence maladie de moins d’un mois. Les entreprises auront besoin de s’appuyer sur leur logiciel de paie pour la mise en place d’un tel changement.